André LETOWSKI est éditeur de la note Mensuelle d’articles et d’analyse sur l’entrepreneuriat. Il a été Directeur des études de l’APCE Agence Française pour la création d’entreprise devenue BPI Création. Il est administrateur de la FNPAE et intervient lors des Assises Annuelles.
Que signifie Transition entrepreneuriale ?
C’est le passage d’un statut à un autre, d’une culture à une autre. Le statut antérieur est le plus souvent celui de salarié, voire d’une situation transitoire. En fait une attente de changement (chômage, entrée dans la vie active retardée, petits boulots alimentaires sans perspective…)
1ére condition vouloir un projet (plus que quitter une insatisfaction).
Le pourquoi de cette recherche de changement ne peut se focaliser sur la seule sortie de l’inconfort de la situation actuelle (ne pas supporter la hiérarchie, ne pas pouvoir s’épanouir dans son travail actuel, ne pas subvenir à ses besoins…). Il doit s’inscrire dans la perspective réaliste d’un projet, c’est à dire une projection de ce que la personne envisage de faire, 1ére condition pour s’inscrire dans cette transition. Ce n’est donc pas à l’accompagnant de lui « souffler » son projet, son job consistant par contre à l’aider à le faire émerger.
Se projeter veut dire formuler, écrire un projet dont les composantes laissant entendre sa réalisation possible, et donc sa viabilité, en acceptant l’abandon de la part de rêve. Mais se projeter ne veut pas dire s’abandonner trop vite aux contraintes que la personne imagine devoir affronter. L’accompagnant doit le pousser à formuler sa vision à moyen-long terme, ce qui exige d’être spécifiquement formé à ce travail de « coaching confrontant ».
2éme condition la vision d’un projet réalisable (et non un un rêve)
La formulation d’une vision à terme, calé sur l’édification programmée d’un projet réalisable (qui inclut inévitablement sa part d’incertitude). Le postulant s’inscrit dans la perspective d’une histoire en mouvement et non dans celle d’une phase transitoire (l’acte de créer l’entreprise par exemple) qui s’arrête là. L’aventure ne fait que commencer. Car l’attitude entrepreneuriale a pour caractéristique d’être toujours en mouvement. L’idée qu’un statut juridique confère la posture ou l’identité entrepreneuriale est une ineptie. Il ne peut s’agir d’être arrivé et d’installer son nid (par contre le postulant, une fois « créé» peut choisir d’abandonner cette attitude entrepreneuriale comme le font nombre de chefs d’entreprise ; c’est alors son choix et son risque). Le sportif de haut niveau nous dit qu’il lui faut à chaque compétition réinventer et non « se reposer sur ses lauriers ».
Il s’agit d’un projet de vie qui implique toute la personne et non d’une phase transitoire pour laquelle on se projette peu. La création sous forme d’autoentrepreneur est souvent incompatible avec un authentique entrepreneuriat. Le projet est soit de dimension insuffisante pour en vivre, soit de type activité complémentaire, occasionnel pour de nouveaux revenus. Cette forme est de plus incompatible avec le développement, puisque l’investissement et même la déduction de frais généraux ne sont pas acceptés pour le calcul du bénéfice. Ce peut être un outil ponctuel, le temps d’une montée en puissance.
3éme condition Intégrer la part de risque ( qui n’est ni un statut protecteur ni une validation comptable)
Risquer, c’est quitter l’acquis du salaire, du RSA pour devoir produire sa propre rémunération et s’approprier l’incertitude d’un bénéfice à réaliser dont la personne est la 1ére responsable. Le travail d’aller et retour sur le risque via la construction du projet, en examinant les possibilités de recettes et les contraintes pour y parvenir, permet de « contrôler » une partie du risque. Ce travail permet une plus grande disponibilité pour affronter les risques inattendus. S’inscrire dans le risque, et se positionner comme celui qui saura l’affronter, est donc essentiel.
4éme condition : une confiance en soi lucide (et non égotique ou restauratrice)
Encore faut-il avoir confiance en soi pour oser affronter le risque. Il ne s’agit pas de la confiance aveugle vantée par les publicités (osez ! lancez-vous) où l’égo l’emporte sur la lucidité. C’est la certitude, vérifiée par le passé, que l’on peut faire face par sa capacité de recul et d’initiative (à la lecture de sa propre histoire ou sur le témoignage de ses proches). L’accompagnant doit aider à vérifier cet atout, ce qui exige d’y être formé.
S’approprier une nouvelle culture, 5éme condition :
C’est celle de l’entreprise, qu’elle soit de type libéral (produire un bénéfice pour soi) ou de type ESS (prioriser le bien commun) où le maitre mot est la production d’un bénéfice qui permet d’en vivre et d’investir. Pour cela, la rentabilité doit être au rendez-vous. Celle-ci repose sur les clients, dont le postulant aura repéré les besoins. L’apport qu’il peut faire pour y répondre (adaptation du produit et des services, une proposition différente de ses concurrents et non la seule reproduction de ce qu’il sait faire) est le coeur de cette culture client. La capacité de leur vendre son produit/service également ! C’est là que pêchent beaucoup de postulants à la création, parce que cela suppose la volonté et le savoir-faire pour « aller vers », convaincre, alors que le postulant s’attache d’abord ce qu’il sait faire, produire. C’est là un nouveau métier que l’accompagnant doit faire émerger en s’appuyant sur sa propre culture commerciale et marketing.
Autre élément important de cette nouvelle culture, l’environnement nouveau qui est le sien, qu’il doit connaitre. Le créateur est responsable (non seulement au sens moral mais aussi en termes de droit) devant les tiers. Il s’inscrit dans une réglementation spécifique en matière sociale (cotisations et prestations sociales, droit du travail), dans le domaine fiscal, et plus largement dans maintes réglementations. Il s’intègre dans un nouveau jeu de relations avec ses collègues chefs d’entreprise, pairs et concurrents où il exerce des responsabilités (la RSE).
6éme condition, être autonome, et donc affronté à la solitude du décideur, et capable de partenariat.
L’enthousiasme de nombre de créateurs est de ne « plus avoir de patron sur le dos », de prendre soi-même les décisions. Ils oublient souvent son corollaire, la solitude du décideur et … la dépendance au niveau du compte en banque que seuls les clients peuvent durablement alimenter (Seul l’Etat croit pouvoir s’endetter sans fin). Pour y remédier, il est souhaitable que le postulant revête l’habit de la modestie en sollicitant l’avis de personnes de confiance (les proches, le plus facile à contacter mais avec le risque qu’ils n’osent pas contredire), et l’avis de professionnels dont il leur faut mesurer la pertinence au regard de leur demande et l’indépendance (le futurs comptable, agence web ou banquier ne peut être l’accompagnant)
Plus avant le développement de leur affaire nécessite bien souvent la capacité de rechercher des partenariats, de s’inscrire dans des réseaux.
Le travail de l’accompagnant est alors de faire émerger ou de conforter l’attitude entrepreneuriale, en l’aidant à murir à ses côtés le projet qui structurera cette aventure. Il s’agit de le conduir à changer de posture (passer de celui d’exécutant, ou de cantonné dans une modalité spécifique de production à celui de chef d’orchestre ; il change de métier).
La stratégie ne sera pas un vain mot pour inscrire dans le temps le projet
C’est tout l’objet des travaux que mène la FNPAE et ses acteurs. Assises annuelles des pédagogues de l’entrepreneuriat, référentiel de compétences et de promotion d’un modèle nouveau de Bilan de compétences entrepreneuriales pour faire alliance en faveur la transition entrepreneuriale durable.
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