… et une lecture objectivée de la cause entrepreneuriale
André LETOWSKI est éditeur de la note Mensuelle d’articles et d’analyse sur l’entrepreneuriat. Il a été Directeur des études de l’APCE Agence Française pour la création d’entreprise devenue BPI Création. Il est administrateur de la FNPAE et intervient lors des Assises Annuelles.
La création d’entreprise suscite l’intérêt des Français (de l’ordre de 30-35% selon les multiples sondages faits depuis plus d’une dizaine d’année), mais en réalité seulement un peu plus de 10% de la population active est actuellement chef d’entreprise. C’est qu’il y a un gap entre ce que les Français aimeraient faire de leur avenir et le fait d’oser le faire (risque financier, difficulté d’être autonome et totalement responsable de son activité professionnelle, et donc abandon de la sécurité salariale, pression de l’entourage proche…).
Une fois l’entreprise créée (donc non auto/microentreprise ou assimilé), encore faut-il la pérenniser (60 à 70% y parviennent à 5 ans -hors les autoentreprises beaucoup plus fragiles et diverses dans leurs motivations). Encore faut-il la développer, ce à quoi peu de nouveaux dirigeants s’y emploient (rappelons que 70% des entreprises n’ont pour effectif que leur dirigeant). Il est vrai que nombre de créateurs d’entreprise n’ont pas l’ambition de développer, mais seulement de trouver l’équilibre qui leur permet de vivre de leur activité. Ils ne s’inscrivent pas alors le plus souvent dans la logique entrepreneuriale dont les composantes sont l’insertion dynamique dans la concurrence (faire autrement, innover), la stratégie (définition d’une ambition dans durée, mise en place des moyens nécessaires…), le leadership (de l’équipe, partenariat avec les acteurs de l’entreprise…). Autant de règles du jeu auxquelles l’ex salarié n’a pas souvent été confronté.
En définitive, les nouveaux entrepreneurs créent peu d’emploi.
Ce faible résultat est d’abord une question de culture (formation initiale, expérience professionnelle, expérimentation d’un comportement entrepreneurial en entreprise ou par exemple dans une association) qui conduit à être à l’aise avec le développement d’une entreprise ; ce peut-être une question de choix (exemple du primat donné à un métier sous forme de non-salariat, ou d’un cadre supérieur, licencié à 55 ans et expert dans son domaine, choisissant de vendre sa seule expertise). Il est plus que dommage que faute d’un travail conséquent sur le projet et son ambition, la précipitation pour créer (se limitant alors aux besoins techniques) conduit à un non-développement ultérieur faute d’avoir formulé au démarrage une vision à terme. J’estime à 20% des créateurs le nombre de développeurs qui ne se révèleront pas (ce qui équivaudrait de 50 à 70 000 chaque année).
Et puis n’oublions pas que le comportement entrepreneurial ne se limite pas à la création d’entreprise ou d’organisation (par exemple associative ou coopérative) ; il intègre l’intrapreneuriat, une forme de large autonomie au sein d’une entreprise privilégiant l’innovation vers de nouveaux marchés, la souplesse d’une petite entité, le management participatif voire sociocratique.
Ces différentes situations exigent un changement de posture, qui se traduit différemment :
– Celle d’un salariat « protégé » vers une autonomie assumée, contrainte par de nouvelles règles du jeu,
– Ou celle d’un salariat fort expérimenté (expertise technologique, gestionnaire, commerciale…) vers un déploiement stratégique dont le dirigeant a la totale responsabilité
– Ou encore celle d’un salariat expérimenté vers un intrapreneuriat où le risque est bien plus important (licenciement en cas d’échec, départ forcé en cas de réussite trop marquée…).
C’est dire l’importance de faire s’exprimer (ou émerger) chez le postulant le projet (son ambition réaliste, sa vision inscrite dans le temps…), les moyens et appuis dont il dispose, la connaissance des règles du jeu de cette nouvelle situation, ses propres limites et atouts, et ce dans le temps (la durée dépend de la capacité de maturation du postulant).
Une des difficultés est que le changement de posture se produit souvent au fil de l’expérimentation dans la conduite de l’entreprise nouvelle, notamment pour les postulants les moins avertis des contraintes pour pérenniser l’entreprise. Or, c’est là que le suivi des accompagnateurs de la création (post-création) prend un sens très particulier et nécessite des compétences de coach, mentors, …
L’accompagnement du postulant exige donc de celui qui accompagne de maitriser la façon d’aboutir pour chacune des situations. L’accompagnant se situe d’abord dans la maturation du postulant dans l’élaboration de son projet (modèle d’affaire). Celui-ci devra au final conduire à esquisser le business model. L’accompagnement visera à ce que le postulant se situe dans le pragmatisme de son projet, quitte à l’abandonner ou à le repositionner. Ce type d’accompagnant ne se positionne pas comme conseil technique (juridique, commercial, comptable et financier…).
Par contre celui qui accompagne le montage du projet doit tout autant prendre en compte le facteur humain, l’ambition, la vision du postulant pour la réussite du projet (posture, culture et compétences).
La pratique fait que l’appui au postulant se divise souvent en 2 types d’accompagnement, l’un pour situer la compatibilité du projet avec ce qu’il est (orientation et coaching), l’autre pour « monter » le projet (sous l’angle «technique »). Ces modalités d’appui sont le fait d’intuitions, d’expériences/formation des accompagnants, de structures aux objectifs diversifiés (organismes sociaux, structures institutionnelles d’appuis, et de structures financières en réponse aux besoins des créateurs…), le fait encore de financements publics (exemple ceux relatifs au montage de projet ne prennent pas ou peu en compte le travail sur le changement de posture)
Idéalement, un seul accompagnant devrait convenir, incluant le changement de posture et l’élaboration technique. Mais ce sont, de fait, 2 métiers différents, qui, par contre, ont tout intérêt à s’enrichir mutuellement, travaillant sur une même personne à des stades différents de son projet, sans qu’il y ait construction linéaire.
3 points leur sont communs, à vérifier et si besoin à accompagner pour leur faire prendre corps :
– Le rapport à l’indépendance (pas de « patron sur le dos ») pour se positionner dans l’autonomie (lucide des contraintes, notamment commerciales et bancaires, et capable d’y faire face),
– Le postulant est en mesure de raisonner en termes de projet (auquel, pour certain, il se mettra « au service de ») et donc de se projeter dans le temps,
– L’opportunité de marché, propre à ce postulant (en quoi il est différent des concurrents, l’originalité de son projet, l’intuition de son marché, sa capacité de vendre, de se vendre…)
L’objectif premier est que le postulant trouve la voie qui lui correspond le mieux. L’objectif second est d’emmener les postulants qui le souhaitent à s’inscrire dans un comportement entrepreneurial où ils vont chercher ce qui correspond le mieux au besoin du projet.
Il y a enfin nécessité de proposer, à ceux qui accompagnent, un travail personnel sur leur conceptions propres autour de l’entrepreneuriat et celles relatives au changement de posture.
Je m’explique : chacun des acteurs est amené à accompagner en s’inspirant, inévitablement et c’est heureux, de sa propre expérience et donc des représentations et convictions qui en découlent. Il est important que chacun prenne du recul avec ses convictions et représentations.
Exemple, le coach autoentrepreneur saura-t-il dépasser ses représentations pour accompagner les perspectives d’un ambitieux postulant à la création d’une chaine de franchise ? L’accompagnateur à la création d’entreprise, salarié d’une association de l’ESS saura-t-il accompagner un créateur dans son développement commercial ?
Un DRH, englué dans le dialogue social saura-t-il prendre distance pour imaginer par exemple la création d’une filiale (modalité de développement de son entreprise) par un salarié de son entreprise ?
C’est tout l’objet des travaux que mène la FNPAE et ses acteurs. Assises annuelles des pédagogues de l’entrepreneuriat, référentiel de compétences et de promotion d’un modèle nouveau de Bilan de compétences entrepreneuriales pour faire alliance en faveur la transition entrepreneuriale durable.
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